Harcèlement scolaire, faute de l’Etat engageant sa responsabilité : le tribunal administratif de Versailles reconnaît la faute de l’Etat et le condamne à indemniser la famille de l’élève victime de harcèlement scolaire en raison de la prise en charge inappropriée, par les services de l’Education nationale, d’une situation de harcèlement scolaire ayant conduit à un drame. Le tribunal administratif de Versailles a considéré que l’Education nationale avait manqué à ses obligations en matière de harcèlement scolaire en ne prenant pas les mesures adaptées ni surtout les mesures proportionnées à la gravité du harcèlement subi, ce qui constitue un défaut d’organisation du service public de l’enseignement au regard de l’obligation de sécurité qui pèse sur les services de l’Education nationale.
Tribunal administratif de Versailles, 21 mars 2025, n° 2302831
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5. Il résulte ainsi de l’instruction que le recteur et les personnels enseignants et administratifs de l’établissement étaient informés de la situation de X., s’agissant tant du harcèlement et des violences subis au sein de l’établissement que des répercussions sur son état de santé. Le recteur faire valoir que les personnels enseignants et la direction de l’établissement étaient en contact régulier avec M. et Mme D et ont pris un certain nombre de mesures destinées à prévenir et faire cesser les faits dont X était victime, par une vigilance accrue du corps enseignant, des interventions de professeurs en classe afin d’évoquer la situation la mise en œuvre de médiations entre X et les élèves de sa classe, des entretiens avec les parents d’élèves impliqués dans cette situation de conflit, l’orientation de Mme D vers une psychologue de l’éducation nationale et une assistante sociale, et la proposition d’un changement de classe de X. Cependant, eu égard à la gravité des faits subis par X de la part d’autres élèves de sa classe et ce dès le début de l’année scolaire 2017 – 2018, dont la matérialité n’est pas contestée, et alors qu’un changement de classe n’a été envisagé qu’à compter du mois de février 2018, au demeurant uniquement s’agissant de X et alors par ailleurs que l’administration n’apporte aucun élément sur les procédures ou sanctions disciplinaires qu’elle aurait engagées ou prises à l’égard des élèves auteurs, en particulier, de faits de violence, les mesures de médiation et de vigilance mises en place se sont manifestement révélées insuffisantes. L’absence de mesures proportionnées à la gravité du harcèlement subi par l’élève est, au cas d’espèce, de nature à révéler un défaut d’organisation du service public de l’enseignement. Si le recteur fait également valoir que X pouvait avoir lui-même un comportement inapproprié voire violent avec ses camarades, ces circonstances ne sont, en tout état de cause, pas de nature à l’exonérer de sa responsabilité résultant d’un défaut de prise en charge adapté de la situation de harcèlement et de violence dont il est constant qu’il était lui-même victime, dont son propre comportement ne pouvait pas, en l’espèce, minimiser la gravité. Par suite, M. et Mme D sont fondés à soutenir qu’eu égard à ce défaut de prise en charge adapté de cette situation, l’Etat a commis une faute, résultant d’un défaut d’organisation du service public de l’enseignement, de nature à engager sa responsabilité.
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En ce qui concerne le lien de causalité :
7. D’une part, il résulte de l’instruction que l’état de santé psychologique de X D s’est considérablement dégradé à compter de son entrée au collège au mois de septembre 2017, en raison du harcèlement dont il a été victime, rendant nécessaire un suivi médical et la prise de médicaments anxiolytiques et le conduisant à adopter un comportement violent à son domicile ainsi qu’à faire une tentative de suicide à la fin de l’année 2017. Si le recteur fait état d’une suspicion de trouble du déficit de l’attention ou d’un trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité, mais sans apporter d’élément circonstancié, et des violences subies par
X à l’école élémentaire, il ne résulte pas de l’instruction qu’un état antérieur ou des causes extérieures auraient été de nature à conduire à ce qu’il se donne la mort au mois de novembre 2018. Enfin, si X a déclaré, au mois de septembre 2018, être content d’être au collège de E, il déclarait également, dans une fiche d’examen infirmier remplie au mois de mai 2018, alors qu’il était déjà scolarisé dans cet établissement, être triste, inquiet, avoir des soucis « souvent », avoir du mal à s’endormir « parfois », se réveiller la nuit à cause de cauchemars « souvent », penser à la mort « parfois » et avoir d’autres problèmes dont il voudrait parler. Au regard de ces éléments, il y a lieu de retenir l’existence d’un lien de causalité suffisamment direct
et certain entre les défaillances dans la prise en charge de la situation de harcèlement et de violence dont il était victime, telle qu’elle a été décrite au point 5, au sein du collège T… et, d’une part, les souffrances qu’il a endurées au cours de sa scolarité et qui ont perduré en dépit du changement d’établissement intervenu à la fin du mois d’avril 2018, ayant conduit à son suicide le 21 novembre 2018, et, d’autre part, le préjudice moral subi par ses parents et sa fratrie du fait de son décès.
En ce qui concerne les préjudices :
8. S’agissant du préjudice résultant des souffrances morales de X D du mois de septembre 2017 au mois de novembre 2018, il en sera fait une juste appréciation en allouant à M. et Mme D la somme de 15 000 euros.
9. S’agissant du préjudice moral résultant du décès de X D, subi par M. et Mme D et par leurs enfants A et M, âgés respectivement de deux ans et de dix ans lors du décès de leur frère, il en sera fait une juste appréciation en allouant à M. et Mme D la somme de 25 000 euros chacun ainsi que, en leur qualité de représentants légaux de leur fille M D, la somme de 15 000 euros et, en leur qualité de représentants légaux de leur fils A D, la somme de 12 000 euros.
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