Le tribunal administratif de Paris annule l’arrêté de radiation du corps de l’Éducation nationale qui n'a pas tenu compte du refus de l’agent de bénéficier du concours obtenu en vue d’intégrer un autre corps – annulation de l’arrêté de radiation, injonction de réintégration et indemnisation du préjudice subi.
Lorsque l'agent exprime de manière non équivoque sa volonté de ne pas bénéficier du concours d'accès à un autre corps, l'administration ne peut légalement prononcer sa radiation du corps d'origine.
Par un jugement du 10 mars 2022 (n° 1907109 / 1918212), le tribunal administratif de Paris a ainsi considéré, dans les termes suivants :
"En ce qui concerne les conclusions à fin d'annulation :
3. L'ensemble des règles régissant la fonction publique d'Etat fait obstacle à ce qu'un fonctionnaire titulaire appartienne simultanément à deux corps distincts de cette même fonction publique. Dans une telle hypothèse, l'administration est tenue de placer ses agents dans une situation régulière et se trouve par conséquence en situation de compétence liée. En revanche, lorsque l'agent renonce, de façon non équivoque, au bénéfice d'une intégration dans un corps distinct de son corps d'origine à la suite de la réussite à un concours, l'administration doit respecter la volonté de l'agent et ne se trouve plus en situation de compétence liée. Il s'ensuit que les moyens soulevés par Mme Y à l'encontre du refus implicite opposé par le recteur de l'académie de Paris à son recours gracieux formé le 6 décembre 2018 et de l'arrêté du 8 octobre 2018 prononçant sa radiation du corps de professeur des écoles sont opérants.
4. Il ressort des pièces du dossier que, par courrier du 21 août 2018 adressé au recteur de l'académie de Paris et dont il n'est pas contesté qu'il a été reçu par l'administration, Mme Y a expressément renoncé au bénéfice du concours commun interministériel d'adjoint administratif organisé au titre de l'année 2018. Ce courrier a été transmis aux services du rectorat antérieurement à l'édiction de l'arrêté de 31 août 2018, par lequel le garde des sceaux, ministre de la Justice, a nommé les lauréats du concours en qualité d'adjoint administratifs principaux à compter du 1er septembre 2018 et de l'arrêté attaqué du 8 octobre 2018 prononçant la radiation de Mme Y du corps de professeure des écoles. Il en résulte qu'en ne tenant pas compte du souhait dépourvu de toute équivoque de Mme Y de renoncer au bénéfice de ce concours, alors même que l'intéressée n'avait pas encore été nommée dans le corps d'adjoint administratif principal et conservait la possibilité de renoncer à cette nomination, le ministre a commis une erreur d'appréciation en prononçant, par l'arrêté attaqué du 8 octobre 2018, sa radiation du corps des professeurs des écoles. Il s'ensuit que le refus implicite opposé du recteur de l'académie de Paris au recours gracieux formé le 6 décembre 2018 par Mme Y ainsi que l'arrêté du 8 octobre 2018 prononçant sa radiation du corps des professeurs des écoles doivent être annulés, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête.
En ce qui concerne les conclusions à fin d'injonction :
5. Eu égard au motif d'annulation retenu, le présent jugement implique nécessairement que Mme Y soit réintégrée rétroactivement à compter du 1er septembre 2018 dans le corps de professeur des écoles, dans un délai de trois mois à compter du présent jugement. La réintégration rétroactive de Mme Y au sein du corps de professeur des écoles implique nécessairement la reconstitution de sa carrière, ce y compris le droit à l'avancement qu'elle aurait acquis à compter du 1er septembre 2018.
6. Aux termes de l'article 63 de la loi du 11 janvier 1984 :"Lorsqu'un fonctionnaire est reconnu, par suite d'altération de son état de santé, inapte à l'exercice de ses fonctions, le poste de travail auquel il est affecté est adapté à son état de santé. Lorsque l'adaptation du poste de travail n'est pas possible, ce fonctionnaire peut être reclassé dans un emploi d'un autre corps ou cadre d'emplois en priorité dans son administration d'origine ou, à défaut, dans une administration ou établissement public mentionnée à l'article 2 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, s'il a été déclaré en mesure de remplir les fonctions correspondantes."
7. Il résulte d'un principe général du droit, dont s'inspirent les règles statutaires applicables aux fonctionnaires, que, lorsqu'il a été médicalement constaté qu'un agent se trouve, de manière définitive, atteint d'une inaptitude physique à occuper son emploi, il incombe à son employeur public, avant de pouvoir prononcer son licenciement, de chercher à reclasser l'intéressé. La mise en œuvre de ce principe implique que l'employeur propose à ce dernier un emploi compatible avec son état de santé et aussi équivalent que possible à l'emploi précédemment occupé ou, à défaut d'un tel emploi, tout autre emploi si l'intéressé l'accepte. Dans le cas où le reclassement s'avère impossible, faute d'emploi vacant, ou si l'intéressé refuse la proposition qui lui est faite, il appartient à l'employeur de prononcer, dans les conditions applicables à l'intéressé, son licenciement.
8.Mme Y soutient que le ministère de l'éducation national a commis plusieurs manquements dans la gestion de sa carrière et a manqué à ses obligations d'employeur dès lors que le reclassement initié à compter de septembre 2014 afin de faire évoluer de fonction d'enseignement vers des fonctions de documentaliste ou de bibliothécaire, n'a pas été mené à son terme. Elle précise qu'après avoir effectué durant au centre Paris Lecture en vue de se familiariser avec le métier de documentaliste bibliothécaire, il a été mis fin à cette affectation l'année suivante sans qu'aucune nouvelle nomination ne soit ensuite prononcée, alors que le bilan de compétence accompli durant l'année 2016 avait pourtant clairement défini cet objectif en vue d'assurer la poursuite de sa carrière, en prévoyant la mise en place d'une formation de bibliothécaire. Cette formation n'a cependant jamais eu lieu et elle a été nommée dans des fonctions purement administratives au sein du lycée Edmond Rostand à Paris.
9. Il résulte de l'instruction que Mme Y a été affectée au sein du centre Paris Lecture entre septembre 2014 et août 2016. En raison de l'impossibilité pour la requérante de participer aux actions de lecture effectuées auprès des écoles, une nouvelle affectation a été envisagée en lien avec la conseillère mobilité carrière chargée du suivi du reclassement de l'intéressée. a l'issue d'un bilan de compétences effectué entre septembre et décembre 2016, Mme Y a émis le souhait de poursuivre sa carrière en tant que bibliothécaire ou de documentaliste. En vue de préparer le concours pour occuper ces fonctions, Mme Y a été accueillie au sein de la bibliothèque des sciences humaines et sociales de l'université Paris Descartes, entre le 13 février et le 31 août 2017, dans la perspective d'une mise en situation en tant qu'agente de bibliothèque lui permettant de conforter son projet de reconversion professionnelle. En raison de la dégradation de l'état de santé de Mme Y et de l'administration d'un traitement médicamenteux occasionnant un défaut d'attention et une grande nervosité, la responsable de la bibliothèque de l'université, tout en relevant la bonne volonté de l'intéressée, a précisé dans le bilan effectué le 22 juin 2017 que Mme Y n'était pas en mesure d'assurer les tâches attendues d'un agent de bibliothèque. Mme Y a alors été affectée en renfort au lycée Edmond Rostand à Paris pour exercer les fonctions d'adjoint administratif au cours de l'année 2017/2018. Il résulte du bilan de reclassement professionnel rédigé par la supérieure hiérarchique de Mme Y que celle-ci s'est rapidement intégrée au sein de l'équipe du lycée et a donné toute satisfaction dans le cadre de ses fonctions. Parallèlement, Mme Y a préparé le concours interministériel d'adjoint administratif au titre de l'année 2018, qu'elle a réussi. Au regard de l'ensemble de ses éléments, il ne résulte pas de l'instruction que les services du rectorat de l'académie de Paris n'aurait pas mis en œuvre les actions appropriées pour organiser le reclassement de Mme Y en fonction des souhaits exprimés par cette dernière, notamment pour s'orienter vers les fonctions d'agent de bibliothèque. Si Mme Y soutient qu'elle a été orientée vers des fonctions purement administratives au sein du lycée Edmond Rostand, il résulte cependant de l'instruction que le comité départemental de Seine et Marne avait émis, le 1er septembre 2011, un avis favorable à un reclassement sur un poste administratif adapté, de sorte que cette affectation, ainsi que les différents postes occupés par Mme Y, correspondaient à cette préconisation. Si elle soutient également que les services du rectorat de l'académie, après avoir évoqué dans un courriel du 23 mars 2017, la possibilité de bénéficier, en sa qualité d'agent reconnue travailleur handicapé, d'un financement de sa formation par le fond pour l'insertion des personnes handicapées dans la formation publique (FIPHFP) n'ont pas donné suite à une telle demande, il résulte cependant de l'instruction que Mme Y ne faisant à l'époque qu'envisager un projet de reconversion vers des fonctions de médiatrices culturelles, sans qu'aucun autre élément ne permette d'établir des actions concrètes pour mener ce projet à bien. Enfin, il résulte de l'instruction que Mme Y a elle-même relevé, dans un courriel du 17 septembre 2017, qu'elle était consciente du travail effectué par ses correspondants pour trouver un poste adapté à sa situation. Par suite, au regard de l'ensemble de ces éléments, Mme Y n'était pas que le recteur de l'académie de Paris aurait commis une faute dans le cadre de la procédure de reclassement mise en place à compter de 2014.
10. En revanche, Mme Y est fondée à obtenir réparation des préjudices nés de l'illégalité fautive de l'arrêté du 8 octobre 2018 prononçant sa radiation du corps des professeurs des écoles.
En ce qui concerne le préjudice financier :
11. En vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité de la puissance publique, un agent public irrégulièrement radié de son corps d'origine a droit à la réparation intégrale du préjudice effectivement subi du fait de la mesure illégalement prise à son encontre. Sont ainsi indemnisables les préjudices de toute nature avec lesquels l'illégalité commise présente, compte tenu de l'importance respective de cette inégalité et des fautes relevées à l'encontre de l'intéressé, un lien direct de causalité. Pour l'évaluation du montant de l'indemnité due, doit être prise en compte la perte du traitement ainsi que celle des primes et indemnités dont l'intéressé avait, pour la période en cause, à leur objet et aux conditions dans lesquelles elles sont versées, sont seulement destinées à compenser les frais, charges ou contraintes liées à l'exercice effectif des fonctions. Enfin, il y a lieu de déduire, le cas échéant, le montant des rémunérations que l'agent a pu se procurer par son travail au cours de la période d'éviction.
12. D'une part, Mme Y établit que son affectation en tant qu'adjoint administrative principale au ministère de la justice a engendré une perte salariale, notamment eu égard à la différence d'indice existant avec ses fonctions au sein du corps de professeur des écoles. Par suite, il y a lieu de condamner l'Etat à verser à Mme Y une indemnité correspondant à la perte de revenus subie par l'intéressée entre septembre 2018 et la date de sa réintégration effective au sein du corps de professeurs des écoles, à l'exclusion des primes qui, eu égard à leur nature, à leur objet et aux conditions dans lesquelles elles sont versées, sont seulement destinées à compenser les frais, charges et contraintes liés à l'exercice effectif des fonctions dans le corps de professeur des écoles. S'il résulte de l'instruction une diminution de la rémunération de Mme Y, à compter du 1er septembre 2018, les seuls bulletins de salaire produits par la requérante ne permettent pas de calculer avec suffisamment de précision le différentiel de rémunération résultant de son intégration au sein du ministère de la justice, après déduction des primes qui, eu égard à leur nature, à leur objet et aux charges ou contraintes liés à l'exercice effectif des fonctions.
13. D'autre part, Mme Y n'a informé le rectorat de l'académie de Paris que le 21 août 2018 de son souhait de renoncer au bénéfice du concours d'adjoint administratif dont les résultats étaient connus depuis mai 2018 et alors que, selon les termes de sa lettre du 21 août 2018, l'intéressée avait connaissance depuis le 25 juillet 2018 qu'elle serait affectée au ministère de la justice. En informant le rectorat de l'académie de Paris de façon aussi tardive et ne saisissant pas le ministère de la justice de son souhait de pas intégrer le corps d'adjoint administratif, Mme Y a contribué aux difficultés liées à sa nouvelle situation administrative, objet du présent contentieux. Dans ces circonstances, il y a lieu d'exonérer l'état de la moitié de sa responsabilité.
14. Par suite, il y a lieu de renvoyer Mme Y devant le rectorat de l'académie de Paris, qui procèdera à ce calcul, dans les délais de trois mois à compter du présent jugement, en se fondant sur les motifs exposés au points 11, 12 et 13 du présent jugement.
En ce qui concerne les troubles dans les conditions d'existence :
15. Mme Y soutient qu'en raison de son intégration dans le corps d'adjoint administratif principal, elle ne bénéficiait plus des congés scolaires et de l'organisation du temps de travail favorable dont elle bénéficiait auparavant pour assurer notamment la prise en charge de son fils âgé de douze ans. Toutefois, dès lors que Mme Y n'exerçait plus en tant que professeur des écoles depuis 2011 et qu'elle n'établit pas que son affectation à la cour d'appel de Paris aurait engendré une organisation du temps de travail moins favorable que celle dont elle bénéficiait auparavant, elle n'est pas fondée à obtenir réparation de ce chef de préjudice.
En ce qui concerne l'aggravation de son état de santé :
16. Mme Y soutient que son affectation au sein du ministère de la justice a engendré une aggravation de son état de santé, notamment marqué par une pathologie bipolaire. Toutefois, la seule production de l'attestation des 29 octobre et 4 novembre 2019, établies respectivement par son ex-conjoint et la mère de l'intéressée, ne permettent pas d'établir que son état de santé se serait dégradé à la suite de son affectation à la cour d'appel de Paris. Par suite, Mme Y n'est pas fondée à obtenir réparation de ce chef de préjudice.
En ce qui concerne le préjudice moral :
17. Compte tenu de l'absence de prise en compte du souhait de Mme Y de ne pas être radiée du corps des professeurs des écoles, il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en fixant à la somme de 1000 euros. Eu égard au partage de responsabilité retenu au point 14 du présent jugement, il y a lieu de condamner l'Etat à verser à Mme Y la somme de 500 euros.
Sur les intérêts :
18. Mme Y est fondée à demander le versement des intérêts au taux légal des sommes mises à la charge de l'état à compter du 24 avril 2019, date de réception de sa demande indemnitaire préalable par le ministre de l’Éducation nationale, de la jeunesse et des sports.
Sur les frais liés aux litiges :
19. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2000 euros au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Le refus implicite opposé par le recteur de l'académie de Paris au recours gracieux formé le 6 décembre 2018 par Mme Y et l'arrêté du 8 octobre 2018 prononçant sa radiation du corps des professeurs des écoles sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au recteur de l'académie de Paris de réintégrer rétroactivement Mme Y dans le corps des professeurs des écoles, dans un délai de trois mois à compter du présent jugement. La réintégration rétroactive de l'intéressée au sein du corps de professeur des écoles implique nécessairement la reconstitution de sa carrière, ce y compris le droit à l'avancement qu'elle aurait acquis à compter du 1er septembre 2018.
Article 3 : Le rectorat de l'académie de Paris procèdera au calcul de l'indemnité liée à la perte de rémunération de Mme Y en se fondant sur les motifs exposés aux points 11, 12 et 13 du présent jugement. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 24 avril 2019.
Article 4 : L'Etat versera à Mme Y le somme de 500 euros au titre de son préjudice moral. Cette somme portera intérêts au légal à compter du 24 avril 2019.
Article 5 : L'état versera à Mme Y la somme de 2000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le surplus des conclusions de la requête n°1918212 est rejeté."